La dépendance alimentaire: bien plus qu’un manque de volonté!

À la suite de la capsule du mois dernier, qui visait à introduire et à décrire la dépendance alimentaire et ses manifestations, la capsule de ce mois-ci a pour objectif de donner un aperçu plus complet de ce qu’on connait aujourd’hui de cette problématique.

Rédigé par Christopher Rodrigue, candidat au doctorat en psychologie

À la suite de la capsule du mois dernier, qui visait à introduire et à décrire la dépendance alimentaire et ses manifestations, la capsule de ce mois-ci a pour objectif de donner un aperçu plus complet de ce qu’on connait aujourd’hui de cette problématique.  Malgré la nature vitale de la nourriture, celle-ci est consommée par plusieurs pour bien d’autres raisons que l’unique besoin de combler une sensation de faim. Certaines personnes reconnaissent cette consommation excessive, allant jusqu’à se décrire comme étant dépendants à certains aliments, au même titre que des individus seraient aux prises avec une dépendance à l’alcool ou à toute autre drogue.

Est-ce que la dépendance alimentaire touche les Québécois? L’étude de la dépendance alimentaire est effectuée un peu partout dans le monde, incluant le Québec. Jusqu’à présent, les recherches guidées par Catherine Bégin, professeure et chercheure à l’Université Laval, ont permis d’observer que les québécois étaient bel et bien touchés par la dépendance alimentaire, autant à l’adolescence qu’à l’âge adulte. Plus précisément,  une première étude a été effectuée auprès d’adultes souffrant d’obésité sévère, en attente d’une chirurgie bariatrique à l’Institut universitaire de cardiologie et pneumologie de Québec (IUCPQ). Les données ont montré que 16% de ces individus présentaient de la dépendance alimentaire. Une seconde étude a, quant à elle, été effectuée auprès d’adolescents au sein d’écoles secondaires et de cégeps de la région de Québec. Cette fois, les données amassées ont indiqué que 3% de cet échantillon présentaient de la dépendance alimentaire. En somme, ces résultats permettent d’avancer qu’un bon nombre de Québécois se disent dépendants à certains aliments et que cette relation à la nourriture pourrait se développer dès l’adolescence.

Une problématique multidimensionnelle.  Bien que plusieurs préjugés négatifs entourent les dépendances, on sait maintenant que la dépendance alimentaire se développe et se maintient pour des raisons qui vont bien au-delà d’un simple manque de volonté. Alors qu’une croyance populaire est qu’il ne suffit que de se «botter le derrière» pour changer ses habitudes alimentaires et perdre du poids, les connaissances actuelles permettent d’avancer que ce n’est pas si simple que cela. En effet, on considère la dépendance alimentaire comme étant multidimensionnelle, c’est-à-dire qu’elle s’accompagne d’une série d’autres difficultés qui s’étendent sur plusieurs sphères de la vie. D’abord, les individus qui s’identifient comme étant dépendants à la nourriture tendent non seulement à rapporter plus d’émotions négatives et  de symptômes dépressifs/anxieux, mais ils ont aussi une plus grande difficulté à réguler ces émotions et ces symptômes. De plus, ces individus sont souvent plus impulsifs, tel qu’en témoigne par exemple une tendance à laisser tomber une tâche ou une difficulté à y rester concentré lorsqu’elle est ennuyante ou considérée comme trop difficile.  À cela s’ajouterait une plus grande sensibilité à la récompense, c’est-à-dire une tendance à agir de sorte à aller chercher des gratifications immédiates (p.ex. choisir un biscuit tout de suite au lieu de deux dans une heure).

 

Enfin, certaines difficultés au niveau des fonctions cognitives, c’est-à-dire les habiletés du cerveau qui permettent de guider les actions et les comportements, sont également observées dans le contexte de la dépendance alimentaire. D’ailleurs, la dépendance alimentaire semble s’accompagner d’une plus grande difficulté à s’adapter au changement dès l’adolescence; les individus qui en souffrent ont donc plus de difficultés à élaborer des stratégies pour s’adapter à une nouvelle situation, surtout lorsque celle-ci est chargée en émotion. Ainsi, la consommation d’aliments caloriques pourrait être utilisée à répétition comme stratégie pour faire face à un conflit avec un proche par exemple, au détriment de stratégies qui pourraient être plus efficaces. Un exemple plus concret serait : Marie vient de recevoir son évaluation annuelle au travail, qui ne s’est pas passé comme elle l’espérait. En sortant du bureau de son patron, elle a préféré se taire et prétendre que tout allait bien pour ne pas alarmer ses collègues,  malgré qu’elle se sente déprimée et inquiète pour son avenir dans l’entreprise. Après le travail, elle a automatiquement pris sa voiture et est allée à la succursale de restauration rapide la plus proche pour répondre à l’urgence émotionnelle qu’elle ressent, comme elle le fait régulièrement. Dans ce cas-ci, la trop grande charge émotionnelle vécue a empêché Marie de réfléchir à une stratégie plus efficace pour gérer sa situation professionnelle, en discutant plus longuement avec son patron pour mieux comprendre ses mécontentements et élaborer des stratégies pour améliorer son rendement, par exemple. Cela illustre la difficulté à réfléchir à une stratégie alternative à la nourriture lors d’une situation difficile. Conséquemment, la nourriture vient qu’à être utilisée sans cesse, sans toutefois diminuer l’inconfort réel ressenti.

En conclusion, ce portrait suggère que la dépendance alimentaire est bien plus complexe qu’une simple relation difficile avec la nourriture ou un manque de volonté vis-à-vis des habitudes alimentaires. Il s’agirait plutôt de la manifestation de difficultés profondes combinant des facteurs psychologiques, cognitifs et environnementaux. C’est d’ailleurs sous un angle multidimensionnel que les chercheurs et intervenants du Centre d’expertise en poids, image et alimentation (CEPIA) conceptualisent et traitent la dépendance alimentaire.

 

Références :

Imperatori C, Fabbricatore M, Vumbaca V, Innamorati M, Contardi A, Farina B. Food Addiction : definition, measurement and prevalence in healthy subjects and in patients with eating disorders. Riv Psychiatr. 2016;51(May):60-65. doi:10.1708/2246.24196.

Brunault P, Courtois R, Gearhardt AN, et al. Validation of the French Version of the DSM-5 Yale Food Addiction Scale (YFAS 2.0) in a Nonclinical Sample. Can J Psychiatry. 2016. doi:10.1177/0706743716673320.

Ouellette A-S, Rodrigue C, Lemieux S, Tchernof A, Biertho L, Bégin C. Yale Food Addiction      Scale:    Examining the Psychometric Properties of the French Version among  Individuals with Severe Obesity Awaiting Bariatric Surgery. Psychology. 2017;8(14):2547-2561. doi:10.4236/psych.2017.814161

 

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