Pourquoi s’intéresser à la dépendance alimentaire?

Bien que la dépendance alimentaire soit présente depuis longtemps dans le discours des gens et à travers les médias, ce n’est que depuis environ 10 ans qu’elle retient l’attention de la communauté scientifique.

Capsule rédigée par Maxime Legendre, candidat au doctorat en psychologie

Bien que la dépendance alimentaire soit présente depuis longtemps dans le discours des gens et à travers les médias, ce n’est que depuis environ 10 ans qu’elle retient l’attention de la communauté scientifique. Ainsi, même pour les experts, la dépendance alimentaire demeure un concept nouveau et complexe et beaucoup de travail reste à faire afin de mieux comprendre les formes qu’elle peut prendre. Cependant, pour l’instant, l’idée qui domine est que la dépendance alimentaire peut être comprise, en grande partie, de la même façon qu’une dépendance à une substance (alcool, drogue ou médicament). D’ailleurs, le seul questionnaire utilisé pour détecter la dépendance alimentaire s’appuie sur cette idée et reprend les mêmes critères que ceux de la dépendance à une substance, mais adaptés pour la nourriture. Malgré qu’il soit encore tôt pour développer un traitement spécifique à la dépendance alimentaire, il est possible de s’inspirer des traitements pour la dépendance à une substance afin d’émettre une compréhension plus juste des difficultés rapportées par les personnes qui se disent dépendantes à la nourriture. Voici quelques pistes de réflexion et d’intervention ayant pour but de consolider les approches de traitement des troubles alimentaires et des troubles de dépendance à une substance.

Le pouvoir des aliments transformés. Avez-vous déjà regardé un documentaire ou lu un article qui parlait de la dépendance au sucre? C’est actuellement une des questions les plus débattues dans la recherche sur la dépendance alimentaire : Est-ce que le sucre peut rendre dépendant? Pour l’instant, la réponse n’est pas claire, mais deux points importants sont à retenir. Premièrement, aucune étude n’a réussi à démontrer que le sucre pouvait avoir un effet aussi intense et direct sur le cerveau humain que l’alcool, les drogues ou les médicaments. Deuxièmement, c’est une combinaison de certains nutriments, principalement les sucres et les gras, retrouvés en concentration élevée dans plusieurs aliments transformés, qui semble être le cocktail addictif par excellence. Le problème principal avec les aliments transformés, c’est qu’il est possible d’augmenter la concentration des sucres et des gras à un niveau qu’il serait impossible de retrouver dans la nature. Ainsi, il serait impossible de développer une dépendance à des produits naturels (fruits, légumes, noix, etc.) et, pour les produits transformés, plus la concentration de sucres et de gras serait élevée, plus ils seraient potentiellement addictifs. Les exemples classiques sont le chocolat, les biscuits, les pâtisseries, les chips, les boissons sucrées et les repas de type « fast-food ». Ainsi, une approche à privilégier pour les personnes dépendantes à la nourriture serait de reprendre contact avec la nourriture sous sa forme la plus naturelle possible et diminuer la consommation de produits transformés. L’idée n’est pas de changer son alimentation afin de manger moins, ni de manger moins de calories, ni de cibler des aliments « santé », mais principalement d’acheter des aliments sous leur forme naturelle ou la moins transformée possible et de les transformer soi-même en cuisinant. Également, il est normal d’aimer le goût sucré de certains aliments comme le chocolat et les pâtisseries. Une alternative, sans bannir complètement le chocolat et les pâtisseries, serait d’aller chercher ce goût sucré avec des aliments moins transformés et moins concentrés en sucre comme les fruits et le yogourt.

L’abstinence oui et non. Dans le traitement des dépendances à une substance, l’abstinence est généralement l’objectif ciblé. À l’opposé, dans le traitement des troubles alimentaires, la restriction (s’empêcher de manger certains aliments) est déconseillée parce qu’elle est reconnue pour mener à des épisodes de perte de contrôle alimentaire (comme un effet rebond). La dépendance alimentaire se situerait à mi-chemin entre ces deux approches. D’une part, une personne qui se dit dépendante à la nourriture ne devrait pas se restreindre complètement de manger des aliments riches en sucre ou en gras afin de ne pas vivre cet effet rebond de perte de contrôle. D’une autre part, il apparaît nécessaire de diminuer, voir arrêter complètement, la consommation de certains aliments très addictifs qui agissent comme un déclencheur des crises. L’effet escompté de cet arrêt de consommation est de diminuer l’association très forte entre certains aliments et une sensation de plaisir ou de soulagement. Par exemple, le chocolat semble être un des aliments les plus problématiques pour les personnes qui rapportent de la dépendance alimentaire. L’abstinence complète ou une diminution importante des barres de chocolat (Mars, Kit Kat, Oh Henry!) serait probablement la meilleure option en remplaçant les barres de chocolat par un aliment alternatif avec un potentiel addictif moins élevé (yogourt au chocolat). L’idée n’est pas de se priver complètement de manger des aliments bons au goût, non plus de choisir des aliments moins caloriques, moins sucrés ou moins gras. L’idée est de choisir des aliments qui n’agissent pas comme un déclencheur des crises et sur lesquels il est plus facile de garder le contrôle.

Les cravings au centre de la problématique. Les cravings sont un désir ou une envie intense de consommer un aliment spécifique, même sans avoir faim. On peut également les voir comme une obsession envahissante. Les cravings se présentent sous forme de pensée, d’idée ou d’image mentale susceptible de mener à un comportement non-souhaité comme se resservir ou aller acheter l’aliment en question. Les cravings prennent beaucoup d’importance dans le traitement des dépendances à une substance. De la même façon, le concept de dépendance alimentaire met l’accent sur les cravings alimentaire puisqu’ils sont vus comme les précurseurs de la perte de contrôle alimentaire. L’identification des aliments, mais aussi des indices visuels (une affiche), sonores (une publicité à la radio) et mentaux (un souvenir) liés aux cravings est la première démarche à entreprendre afin de réussir à diminuer la fréquence et l’intensité des cravings. L’étape suivante sera de réussir à gérer les cravings. Il est normal, voir inévitable, d’avoir des cravings à l’occasion. Cependant, il est possible d’en diminuer la fréquence et l’intensité et de les gérer afin de ne pas avoir de crises alimentaires. Une bonne méthode afin de prévenir les cravings est d’éviter les indices qui y sont associés. Par exemple, si je sais que la vue d’une affiche de McDonald me fait penser à un hamburger pendant plusieurs heures, je pourrais m’organiser pour ne pas avoir à passer devant un McDonald de manière régulière. Lorsqu’il est impossible de prévenir un craving, il faut décider si nous allons y répondre ou non et si oui, de quelle façon. La solution peut être de tout simplement attendre que le craving passe. Bien que désagréables, les cravings sont généralement temporaires, ils disparaissent après quelques minutes ou heures. Une bonne façon de résister aux cravings peut être de tourner son attention vers autre chose. Il est généralement très difficile de penser à deux choses en même temps. Ainsi, si votre cerveau est occupé à faire quelque chose, il sera très difficile de continuer à penser à l’aliment que vous désirez. Également, il existe différentes techniques d’acceptation par la pleine conscience ou la médiation qui sont très populaires actuellement et qui peuvent aider à la gestion des cravings[1]. Par définition, les cravings sont envahissants, ainsi il se peut que même en essayant de penser à autre chose, les cravings persistent. À ce moment, la solution peut être de répondre aux cravings en mangeant l’aliment en question. Bien que ce ne soit pas l’option à privilégier 100% du temps, il est parfois mieux de répondre au craving immédiatement que d’attendre trop et finir par perdre le contrôle. Finalement, il faut garder en tête que la gestion des cravings repose sur un équilibre. D’une part, cette gestion devrait toujours se faire de sorte à ne pas renforcir les cravings en y répondant à tout prix et, d’une autre part, la gestion des cravings devrait se faire sans tomber dans la restriction complète afin d’éviter de tomber dans la perte de contrôle.

La fonction de la nourriture. L’approche du traitement des dépendances à une substance suppose que la substance a une ou des fonctions qui maintiennent la consommation. Ainsi, la seule façon réaliste de réussir à ne pas consommer est de remplacer la substance par autres choses qui remplit la ou les mêmes fonctions. Cette idée se prête très bien à la dépendance alimentaire. Alors que la fonction première de la nourriture est de répondre au besoin de base de se nourrir, elle remplit plusieurs fonctions secondaires non-négligeables. Les gens mangent pour le plaisir, pour briser l’ennui, pour se changer les idées, parce qu’ils sont anxieux, pour socialiser avec les autres, pour découvrir, etc. D’ailleurs, la nourriture entretient une relation très forte avec le système émotionnel de l’être humain et plusieurs personnes utilisent la nourriture, sans nécessairement s’en rendre compte, afin d’influencer leur état émotionnel. Ainsi, avant de commencer à changer complètement sa diète, il faut réfléchir à des remplaçants pour prendre le relais des fonctions occupées par la nourriture et, principalement, prendre le temps de réfléchir au rôle que la nourriture joue par rapport à nos émotions. Par exemple, si une personne utilise la nourriture lorsqu’elle se sent anxieuse ou triste, il apparaît plus logique de cibler en premier lieu l’anxiété et la tristesse avant de changer l’alimentation. Dans ce cas, une relation plus saine avec la nourriture apparaît uniquement possible si la personne se sent mieux de manière générale dans sa vie.

Références

Davis, C., & Carter, J. C. (2014). If certain foods are addictive, how might this change the         treatment of compulsive overeating and obesity? Current Addiction Reports, 1(2), 89-95.       doi.org/10.1007/s40429‐014‐0013‐z

 

Dimitrijević, I., Popović, N., Sabljak, V., Škodrić-Trifunović, V., & Dimitrijević, N. (2015).     Food addiction-diagnosis and treatment. Psychiatria Danubina, 27(1), 101-6.

 


[1] Il serait trop long de décrire ces approches dans le texte, mais il est facile de trouver de l’information sur internet et dans différents médias. De plus, les professionnels(elles) de la santé, comme ceux au Centre d’expertise Poids, Image et Alimentation, incorporent de plus en plus ces approches dans leur travail.

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