L’hyperphagie boulimique

Lorsqu’on pense aux troubles alimentaires, l’anorexie et la boulimie sont souvent les premiers qui nous viennent à l’esprit.

Capsule rédigée par Marie-Ève Poulin, étudiante au baccalauréat en psychologi, sous la supervision de Marilou Côté, Ph.D., psychologue au CEPIA.

Lorsqu’on pense aux troubles alimentaires, l’anorexie et la boulimie sont souvent les premiers qui nous viennent à l’esprit. Pourtant, il existe également un autre trouble qui est très répandu et dont on entend peu parler : l’hyperphagie boulimique, ou l’accès hyperphagique. L’hyperphagie est un trouble alimentaire complexe et fortement associé à l’obésité, mais qui ne se caractérise pas uniquement par le fait d’être obèse ou de « manger ses émotions » comme on pourrait le penser.

L’hyperphagie touche plus de personnes que l’anorexie et la boulimie. Au Québec, on estime qu’environ 192 000 Québécois souffrent de ce trouble alimentaire. Contrairement à la boulimie et à l’anorexie, l’hyperphagie se manifeste généralement plus tard, soit vers l’âge adulte, et touche presque autant d’hommes que de femmes. L’hyperphagie, qui s’installe lentement et sournoisement, peut avoir de fortes répercussions sur la santé, autant psychologique que physique.

Trouble encore méconnu de la population, ce n’est que depuis la dernière édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-V), en 2013, que l’hyperphagie boulimique figure officiellement parmi les troubles alimentaires. Tel qu’indiqué dans le DSM-V, l’hyperphagie boulimique est avant tout la survenue récurrente d’accès hyperphagique, soit l’absorption, en une période de temps limité, d’une grande quantité de nourriture qui est nettement supérieure à ce que les gens absorberaient en période de temps similaire et dans les mêmes circonstances. Lors des accès hyperphagiques, qu’on appelle également les crises de boulimie, la personne mange beaucoup plus rapidement que la normale, mange jusqu’à éprouver une sensation pénible de distension abdominale ou mange une grande quantité de nourriture même en l’absence d’une sensation physique de faim. Ces crises, qui surviennent en moyenne au moins une fois par semaine pendant 3 mois, peuvent également amener l’individu à vouloir se cacher pour manger seul, car il peut être gêné de la quantité de nourriture ingérée.

L’élément principal qui différencie l’hyperphagie de la boulimie est l’absence de comportements compensatoires adoptés pour compenser les calories ingérées lors des crises, tels que l’usage de laxatifs ou de diurétiques, les vomissements auto-provoqués, le jeûne ou l’activité physique intense. Lors des crises, la personne qui souffre d’hyperphagie mangera une grande quantité de nourriture, mais lorsque la crise est passée, celle-ci ne fera rien pour éliminer son apport en nourriture ce qui engendre une grande détresse et un fort sentiment de culpabilité. Sa qualité de vie s’en voit donc grandement affectée puisque la honte et le dégout ressentis suite à la crise sont difficiles à supporter au quotidien.

Ces crises de boulimie, qui sont en partie responsables du surplus de poids qu’on constate chez les personnes qui souffrent d’hyperphagie, résultent de deux principaux éléments : la restriction alimentaire et cognitive, ainsi que les émotions. La restriction alimentaire, qui caractérise les régimes amaigrissants, amène à se préoccuper encore plus des aliments interdits, ce qui est très néfaste puisque cela crée une obsession alimentaire. Ces obsessions alimentaires augmentent alors les risques de succomber à la crise de boulimie. De leur côté, les émotions (p.ex., la honte, la tristesse, la colère, la culpabilité) entraînent un grand inconfort et peuvent devenir insupportables pour les individus qui tentent alors de trouver une solution pour les diminuer. Dans ce cas, la solution peut être trouvée dans le fait de manger. La crise boulimique peut survenir à n’importe quel moment de la journée et se termine généralement par l’inconfort physique ressenti ou par un élément externe qui détourne l’attention de la nourriture. Après la crise, la personne peut se sentir très épuisée et peut ressentir une grande peur de prendre du poids, ce qui la replace en situation de vulnérabilité de vivre une autre crise de boulimie. C’est ce qu’on appelle le cercle vicieux de la boulimie. 

Comprendre l’origine du trouble

Afin de mieux comprendre ce trouble complexe, il est d’abord important de discerner les éléments qui prédisposent une personne à vivre cette problématique. Le développement de l’hyperphagie boulimique est souvent associé à certains éléments dans la vie de la personne, qu’on appelle les facteurs prédisposants. Selon les recherches actuelles, l’hyperphagie serait influencée à la fois par des facteurs génétiques et environnementaux. Bien qu’aucun gène précis n’ait été identifié, nous savons aujourd’hui que des facteurs génétiques seraient impliqués dans le développement de cette maladie. Il est toutefois important de comprendre que les gènes ne sont pas la cause unique de la maladie, mais qu’ils participent à son développement en interagissant avec l’environnement et l’histoire de la personne. Ceux-ci, parfois marqués dans le passé par des blessures relationnelles profondes et par des expériences douloureuses, contribuent au développement de la maladie.

D’autres facteurs, plus personnels, peuvent également contribuer au développement de l’hyperphagie. On constate chez les individus souffrant de ce trouble alimentaire une profonde insatisfaction corporelle. Tel que mentionné, contrairement à la boulimie et à l’anorexie, l’hyperphagie est très souvent associée à un surplus de poids. Le fait de vivre avec un surplus de poids, combiné aux souffrances engendrées par le trouble alimentaire, est une expérience souvent vécue difficilement aux conséquences envahissantes dans la vie quotidienne. L’estime de soi en est grandement touchée. Il n’est donc pas rare que les personnes souffrant de ce trouble rapportent avoir fait plusieurs régimes alimentaires au cours de leur vie dans le but de perdre du poids et de surmonter leur insatisfaction corporelle. Ces régimes ne fonctionnent toutefois pas à long terme. Dans la vaste majorité des cas, la perte de poids n’est pas maintenue dans le temps. Les régimes peuvent devenir très néfastes pour la santé et nous savons aujourd’hui que plus nombreux sont les régimes, plus les conséquences sur le corps et l’esprit seront négatives. Les régimes sont souvent rapportés comme point de départ de l’hyperphagie, les restrictions imposées au corps générant des obsessions et des débordements alimentaires pouvant propulser l’individu vers le trouble.

On retrouve également chez la plupart des personnes qui souffrent d’hyperphagie boulimique un tempérament hypersensible, qui amène à ressentir très fortement les émotions. Les émotions ressenties sont si fortes qu’elles les submergent et les poussent à manger pour apaiser leurs émotions, ce qu’on appelle communément « manger ses émotions ». Ces émotions très envahissantes affaiblissent et sont très souffrantes, car les personnes ont beaucoup de mal à les réguler. Ce tempérament émotif, superposé aux sentiments de détresse, de honte et de culpabilité, peut accentuer la tendance à la dépression et à l’anxiété. En effet, plus de 75% des personnes souffrant d’hyperphagie boulimique souffriraient également d’un autre trouble de santé mentale, les plus communs étant les troubles de l’humeur et anxieux.

Il est important de mentionner que d’autres facteurs personnels peuvent également être associés à l’hyperphagie boulimique, tels qu’une pensée rigide, un déficit de l’attention, un besoin de contrôle excessif ou le fait d’avoir été victime d’intimidation.

Le rétablissement, un défi à relever

Il est important de mentionner qu’il existe des traitements pour l’hyperphagie, que des solutions existent et que les crises de boulimie peuvent s’arrêter. Les gens qui souffrent de ce trouble gagnent à aller chercher une aide extérieure chez un professionnel de la santé, qui est la première étape au rétablissement. Une cible de traitement est, d’abord, de transmettre l’espoir que la vie peut s’améliorer et qu’on peut se libérer de l’hyperphagie boulimique. Le traitement vise ensuite à diminuer les obsessions liées à la nourriture afin de maîtriser et éventuellement éliminer les crises boulimiques. Dans son processus, la personne devra, entre autres, apprendre à accepter d’être déstabilisée, remettre en question ses croyances, apprendre à gérer ses émotions autrement que par la nourriture, travailler à assouplir la restriction alimentaire et développer une relation plus saine avec la nourriture. Même si les changements se font graduellement et prennent du temps, l’inconfort vécu par le changement des habitudes est nécessaire au rétablissement et en vaut la peine. Il est également important de se rappeler que la perte de poids n’est pas l’objectif principal du processus de rétablissement, celui-ci étant plutôt l’atteinte d’un bien-être global et d’un équilibre personnel.

Source : Arbour, G., et Petitpas, J., Lundi je me mets au régime!, Montréal, Les éditions la Semaine, 2016.

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